RÉPARATION DE L’ADN

RÉPARATION DE L’ADN
RÉPARATION DE L’ADN

Mutations: lésions et réparation de l’ADN

L’intégrité du matériel génétique présent dans toute cellule vivante sous forme d’acides nucléiques (et en premier lieu l’ADN, constitutif du génome) est continuellement remise en cause par de nombreux agents agressifs appelés génotoxiques. Ils sont d’origine exogène (rayonnements solaires ou ionisants, cancérogènes chimiques, médicaments, polluants) ou endogène, c’est-à-dire produits par l’activité normale d’une cellule (espèces radicalaires dérivées de l’oxygène lors de la production d’énergie, instabilité chimique des bases de l’ADN). De nombreux systèmes de réparation de l’ADN détectent les lésions qui en résultent et les réparent de façon à protéger les cellules touchées.

L’importance des processus de réparation de l’ADN est attestée par une conservation impressionnante des enzymes qui y sont impliquées, depuis les bactéries jusqu’à l’homme tout au long de l’évolution. En outre, le dysfonctionnement de ces enzymes se traduit par des maladies gravissimes et rares, ce qui confirme l’importance vitale de leur fonction réparatrice. En effet, l’accumulation de lésions non réparées et l’instabilité génétique qu’elles provoquent aboutissent soit à la mort cellulaire, si le taux général de modifications génétiques n’est pas compatible avec la vie, soit à un processus de transformation tumorale ou à d’autres maladies graves. Il est toutefois permis de penser que l’instabilité génétique fait partie des causes de diversification qui contribuent à l’évolution des espèces. La facilité avec laquelle certains virus (VIH, grippe) peuvent modifier de façon permanente leur séquence génomique pour s’adapter plus sûrement à leur hôte illustre à cet égard le rôle majeur que joue la régulation de l’information génétique dans la biosphère.

Mécanismes de réparation de l’ADN

Le matériel génétique des organismes vivants est exposé à des agents génotoxiques variés dont l’interaction directe ou indirecte (par l’intermédiaire de métabolites formés lors des réactions enzymatiques intracellulaires) avec l’ADN induit une importante gamme de lésions. Aussi l’état de l’ADN est-il contrôlé par des facteurs présents dans la cellule touchée, et, quand une lésion est repérée, des systèmes enzymatiques de réparation sont mobilisés afin d’éliminer les dommages et de restituer un ADN intact (réparation fidèle) ou incomplètement réparé (réparation source d’erreur).

En cas de réparation fidèle, il ne reste aucune trace de l’accident subi par l’ADN. Celui-ci reste donc le garant de la conformité au programme spécifique lors des reproductions cellulaires, impliquant – après réplication de l’ADN grâce à l’enzyme ADN-polymérase – le partage chromosomique qui caractérise la mitose, et assure la transmission d’un patrimoine génétique intact et identique d’une cellule mère à ses deux cellules filles. L’ADN reste aussi le support de l’information génétique que transcrit – au niveau des gènes en activité – la machinerie enzymatique dont l’acteur principal, l’ARN-polymérase, fabrique les ARN messagers indispensables à la synthèse des protéines cellulaires qui auront donc été codées par les gènes.

Par contre, s’il reste trace de la lésion subie par l’ADN, l’activité cellulaire peut être entravée ou déviée vers des modalités pathologiques se manifestant notamment par des anomalies du cycle cellulaire de mise en œuvre de l’information génétique, d’où l’importance cruciale du mécanisme de réparation. Celui-ci a en effet pour rôle de corriger ou de franchir la lésion, par coopération entre la machinerie réplicative (reproduction de l’ADN) et les systèmes enzymatiques réparateurs, lesquels fonctionnent de concert avec les systèmes de transcription de l’information génétique (formation d’ARN messager).

Les principales lésions de l’ADN

On notera d’abord que la molécule d’ADN peut être endommagée au niveau des bases puriques et pyrimidiques, support du code génétique. Ces bases peuvent être perdues ou désaminées, ou encore remplacées (changement tautomérique) par des substances analogues. Les bases peuvent aussi subir des réactions de méthylation ou d’éthylation par des agents alkylants (polluants de l’atmosphère, médicaments antitumoraux, etc.). Des produits d’addition sur les bases, produits extrêmement variés que l’on désigne par le terme d’adduits, résultent enfin de l’action nocive de nombreux agents génotoxiques tels que les hydrocarbures polycycliques contenus dans les produits de combustion (par exemple la fumée de cigarette).

La structure de la double hélice de l’ADN peut être perturbée par la formation de pontages intrabrin (entre deux bases adjacentes d’un même brin) ou interbrins (entre deux bases situées sur les brins homologues). Les ultraviolets germicides de 254 nanomètres (U.V.-C) provoquent la formation de ponts entre pyrimidines (ainsi devenues dimériques), alors que les antitumoraux bifonctionnels, tel le cisplatine, forment des ponts entre purines adjacentes. D’autre part, en s’intercalant entre deux étages ou plateaux des bases dans la double hélice de l’ADN, certaines molécules vont former des liaisons covalentes stables entre les bases portées par les brins opposés.

Les ruptures simple et double brin de l’ADN sont produites directement par des agents tels que les radiations ionisantes, et indirectement par l’action de radicaux libres. La destruction d’un désoxyribose entraîne une rupture des liaisons phosphodiesters au niveau du site lésé, donc une rupture du brin.

La diversité des lésions induites est illustrée par l’analyse des photoproduits stables détectés à la suite d’une irradiation par les U.V.-C. À côté des dimères de pyrimidines dus à la formation d’un noyau cyclobutanique, il se forme entre deux pyrimidines adjacentes des pyrimidines (6-4) pyrimidones; la proportion relative des dimères de pyrimidine et de produit (6-4) est de 10 à 1. Leur efficacité respective dans l’effet léthal et dans l’effet mutagène des ultraviolets est également différente: les dimères ont un rôle cytotoxique plus important que les produits (6-4), alors que l’inverse est vrai pour l’effet mutagène. De même, les radiations ionisantes (rayons 塚 du cobalt 60 par exemple) produisent simultanément des ruptures simple ou double brin (approximativement dans un rapport de 9 à 1), de nombreux produits d’addition des bases, des pertes de bases et, aux fortes doses, des pontages entre ADN et protéines adjacentes (chromosomiques par exemple). On dénombre en moyenne une rupture de brin pour une base modifiée. Le rôle prédominant de la rupture double brin dans l’effet cytotoxique des radiations est accompagné d’un effet mutagène dû aux altérations des bases.

Les systèmes enzymatiques de réparation

Au cours des années 1960, des mutants sensibles aux agents génotoxiques ont été isolés à partir de la bactérie Escherichia coli et de la levure Saccharomyces cerevisiae . La caractérisation cellulaire et moléculaire des mutants, comparativement au type sauvage, a permis de préciser la notion de réparation de l’ADN lésé et de son contrôle génétique, puis de définir l’existence de voies métaboliques de réparation et d’en analyser les étapes. Quelques années plus tard se fait jour l’idée qu’il pouvait exister chez l’homme une relation entre un défaut génétique de réparation de l’ADN lésé et une prédisposition au cancer induit par un agent environnemental. C’est ainsi que les patients atteints d’une maladie génétique, le xeroderma pigmentosum (XP), sont affectés d’une photosensibilité extrême par suite de déficience de réparation de l’ADN des cellules malades (défaut d’excision des lésions); ils développent en outre, avec une fréquence élevée, des cancers cutanés au niveau des zones tégumentaires ayant été exposées au soleil. Cette observation donna une grande impulsion à l’exploration des mécanismes reliant la réparation de l’ADN, la mutagenèse et la transformation maligne. Une corrélation deviendra évidente entre les activités mutagènes et cancérogènes de nombreux agents physiques et chimiques, et l’épidémiologie révélera l’importance de l’environnement dans l’incidence des cancers.

La réversion in situ de certaines lésions de l’ADN . Très spécifiques, ces systèmes mettent en œuvre une seule enzyme, qui élimine la lésion en une étape. C’est le cas de la photoréactivation qui intervient dans la réparation directe des dimères de pyrimidine par fixation de la photolyase (l’enzyme de réparation), activation de celle-ci par la lumière visible, coupure de la liaison cyclobutanique et restitution de la séquence d’ADN normal. Des mutants d’E. coli ou de levure, privés de photolyase, ne montrent pas, après irradiation par les U.V.-C, la restauration de la survie cellulaire ni la diminution de l’effet mutagène que devrait produire leur exposition à la lumière: la photoréactivation ne fonctionne donc plus.

De même, les bases puriques alkylées sont directement déméthylées in situ par des méthyltransférases spécifiques (la 6-méthyl-guanine sera déméthylée par la 6-méthyl-guanine-transférase). Ou encore, des ruptures simples brins radio-induites seront directement jointées par une ADN-ligase qui soude les extrémités 3 -OH et 5 -phosphate adjacentes des brins coupés.

La réparation par excision-resynthèse . Ce processus multiétape implique la reconnaissance du site lésé, l’incision du brin d’ADN porteur de la lésion, l’excision du fragment d’ADN portant la (les) base(s) lésée(s) et la dégradation plus ou moins étendue du brin d’ADN. Cela est suivi, comme dans une réplication, du remplissage par l’ADN-polymérase de la brèche ainsi créée en prenant le brin d’ADN complémentaire intact comme matrice et enfin de la ligation par l’ADN-ligase du fragment néosynthétisé. Ce système, absent dans les mutants uvr A, uvr B, uvr C d’E. coli , dans les mutants de type RAD 3 de la levure S. cerevisiae , dans les mutants ERCC de cellules de hamster chinois et dans les cellules dérivées de patients XP, est capable de réparer diverses lésions. Il est présent dans tous les organismes de type sauvage.

– La réparation par excision de bases modifiées par alkylation, désamination hydrolytique, oxydation ou de bases mésappariées (adénine ou thymine mésappariée avec une guanine) implique des glycosylases , spécifiques des différents types de modifications. Ces enzymes coupent la liaison N-glycosylique entre l’adduit et le squelette désoxyribose-phosphate du brin d’ADN. Le site abasique ainsi créé est ensuite incisé par une AP-endonucléase qui clive le lien désoxyribosique phosphodiester en 3 ou en 5 de ce site. Une exonucléase excise ensuite le désoxyribose, produisant une brèche qui sera comblée par une ADN-polymérase ; la continuité de la séquence d’ADN est assurée par une ADN-ligase .

– La réparation par excision de nucléotides (dimère de pyrimidine, pontage interbrin ou un nucléotide modifié par un adduit encombrant) débute par la reconnaissance de la lésion, puis par l’incision de la liaison phosphodiester, en amont et en aval de la lésion – autrement dit en 3 et 5 – et avec un écart de quelques nucléotides de distance de part et d’autre de celle-ci. Le fragment porteur du dommage est excisé, et la brèche ainsi formée est comblée et ligaturée par les mêmes étapes que lors de l’excision de bases. Il a été démontré dans les cellules de mammifères, puis confirmé chez la levure et la bactérie E. coli que la réparation par excision est couplée à la transcription, en ce sens que le brin où sont transcrits des gènes actifs est réparé en premier, puis les lésions sont éliminées du brin complémentaire, et enfin les autres régions, non actives, du génome sont réparées. Cette séquence d’événements, dite “réparation préférentielle”, permet de lever l’inhibition de la synthèse d’ARN qui a été bloquée par la présence d’une lésion.

Une conservation phylogénétique très grande de ces systèmes, des bactéries à l’homme, a été constatée (Hoeijmakers, 1993). Le complexe exonucléasique uvr ABC, impliqué dans l’excision de nucléotides chez E. coli , est contrôlé par les gènes uvr A, uvr B et uvr C; il s’associe transitoirement au facteur de transcription (désigné par l’abréviation anglo-saxonne TRCF) codé par le gène bactérien MFD. Cette protéine interagit avec l’ARN-polymérase bloquée par une lésion, la déplace et recrute la sous-unité uvr A du complexe qui reconnaîtra la lésion.

Chez la levure, la réparation par excision fait intervenir au moins dix-huit gènes. Les produits de RAD 1, 2, 3, 4, 10, 14, 25 et SSL 1 participent à l’étape d’incision, alors que ceux des gènes RAD 7, 16, 23, 24, MMS 19 déterminent la spécificité et l’efficacité de cette réparation.

Chez l’homme, le défaut biochimique à la base de xeroderma pigmentosum concerne l’une des premières étapes du mécanisme d’excision de nucléotides. Sept groupes génétiques ont été identifiés, et la plupart de ces gènes ont été clonés. Le XP groupe A code pour une protéine d’association à l’ADN; les gènes XP B et XP D contrôlent la synthèse d’ADN-hélicases, enzymes essentielles à la disjonction des brins d’ADN par coupure des ponts hydrogène qui permettra réplication et transcription; XP C code pour une protéine hydrophile dont la fonction est mal définie, bien qu’il soit démontré que le produit du gène XP C est spécifiquement requis pour la réparation des régions inactives du génome (chez la levure, l’homologue de XP C, RAD 23, interagit avec le facteur de transcription TFIIH). Le gène XP G code pour une endonucléase spécifique de l’ADN simple brin qui clive l’ADN endommagé du côté 3 de la lésion. Les gènes XP E et XP F n’ont pas été clonés à ce jour. D’autres gènes humains, capables de corriger le défaut d’excision chez des mutants U.V.-sensibles de levure, ont été clonés; il s’agit des gènes ERCC 1 et ERCC 4. Leur fonction est mal connue; il a été suggéré que certaines des protéines qu’ils codent seraient des éléments constitutifs de la chromatine humaine et faciliteraient les étapes précoces de reconnaissance de nucléotides modifiés.

– La réparation des mésappariements de bases permet l’excision de nucléotides non modifiés mais anormalement appariés. Ces mésappariements résultent d’erreurs introduites par l’ADN-polymérase lors de la réplication de l’ADN (1 erreur pour 107 nucléotides incorporés). L’étude de mutants d’E. coli doués d’une forte capacité à subir des mutations spontanées (phénotype “mutateur”) a permis d’analyser le processus de réparation des mésappariements. Celui-ci requiert une discrimination du brin nouvellement synthétisé (il est hypométhylé dans le cas d’E. coli ). La protéine Mut S reconnaît l’ADN mésapparié et s’y fixe, la protéine Mut L stabilise le complexe et permet à une troisième protéine Mut H de cliver, par son activité endonucléasique, le brin d’ADN non méthylé. L’activité de l’hélicase ATP-dépendante Uvr D (ou Mut U) est requise pour l’étape d’excision par une des exonucléases simple brin. L’ADN-polymérase, puis une ligase comblent la brèche ainsi formée.

Une déficience de ce système de réparation des mésappariements est impliquée dans le cancer héréditaire du côlon dit hereditary non polyposis cancer colon (HNPCC). Les gènes humains homologues des gènes bactériens codant pour Mut S et Mut L ont été identifiés, et ils sont mutés dans 90 p. 100 des cas de HNPCC. Dans les tumeurs, la copie de l’allèle normal est mutée ou perdue, induisant une déficience complète de la réparation des mésappariements et une accumulation de mutations dans d’autres gènes. Il est à noter que, chez l’homme, au moins trois gènes codent pour des protéines homologues de Mut L bactériens (hMLH 1, hPMS 1 et hPMS 2) et au moins deux gènes codent pour des protéines homologues de Mut S (hMSH 2 et GTBP).

Les mécanismes de tolérance des lésions

Si les mécanismes de réparation fidèles sont saturés, certains dommages vont bloquer la progression de la réplication de l’ADN. Deux solutions sont appliquées par les ADN-polymérases qui assurent la réplication dans les cellules en cours de reproduction (mitose):

– Elles insèrent au hasard une base quelconque en face de la lésion et la dépassent. Cela permet à la cellule de survivre, mais avec une probabilité élevée de comporter une mutation. Si celle-ci ne survient pas dans une région essentielle du génome, cette réparation source d’erreur sera sans conséquence. En revanche, si elle survient dans un gène essentiel (proto-oncogène, suppresseur de tumeur), la réparation infidèle se traduira par l’initiation de la transformation maligne des cellules touchées.

– Elles laissent une brèche et réinitient la réplication en amont de la lésion. La discontinuité ainsi créée est résolue par la mise en œuvre d’un système enzymatique de recombinaison. L’information génétique du brin intact est transférée vers le brin porteur de la brèche en face de la lésion. La molécule d’ADN néosynthétisée sert de matrice pour reconstituer le brin échangé. La lésion, encore présente à la suite de la mitose, sera éliminée ensuite par le système d’excision. Les cassures double brin d’ADN produites par les radiations ionisantes ou au cours de la réparation par excision de deux lésions très voisines portées par chacun des deux brins d’ADN seront de la même manière réparées par ce système de recombinaison. Chez la levure S. cerevisiae , huit gènes au moins sont impliqués dans la réparation par recombinaison. Les mutants RAD 50 à RAD 57 sont hypersensibles aux radiations ionisantes et sont défectifs dans la recombinaison.

Contrôle de la progression dans le cycle cellulaire et intervention de la protéine p53

La coordination des événements associés à la progression des cellules dans leur cycle de reproduction est essentielle pour la transmission d’un matériel génétique non endommagé. Le cycle cellulaire se décompose en quatre phases de durée différente: la phase G1, la plus longue, essentiellement transcriptionnelle, prépare la synthèse réplicative de l’ADN, qui a lieu en phase S et après la phase G2, au cours de laquelle sont mis en place les matériaux génétiques (notamment ADN dupliqué) et les facteurs réglant le partage mitotique, intervient la phase M de déroulement de la mitose. Des molécules assurent et coordonnent les transitions d’une phase du cycle à la suivante. Les kinases dépendantes des cyclines (CDK) sont des enzymes porteuses de l’activité catalytique (phosphorylation d’autres protéines), stimulée par les cyclines auxquelles elles s’associent. Leur quantité varie en fonction de la situation des cellules dans le cycle. Le produit du gène du rétinoblastome (Rb), suppresseur de tumeur, joue un rôle important dans le passage des points de contrôle: inactivé lorsqu’il est phosphorylé, il se dissocie des facteurs de transcription de la famille E2F et permet l’expression des gènes impliqués dans la réparation de l’ADN par excision de nucléotides. La protéine p53, autre suppresseur de tumeur, est également un relais moléculaire important dans le contrôle du cycle cellulaire. Les dommages produits dans l’ADN par les radiations ou par certains agents chimiques provoquent une accumulation de cette protéine dans le noyau de cellules de mammifères. Ce sont les ruptures de la molécule d’ADN qui stabilisent la protéine p53. Les patients atteints du syndrome héréditaire de Li-Fraumeni sont hétérozygotes pour le gène P53 (un allèle normal plus un allèle muté); ils ont un risque accru de développer un cancer. Chez la souris, la destruction de l’un ou des deux gènes P53 normaux entraîne une grande sensibilité à la tumorigenèse radio-induite, puis la mort précoce par cancer.

La protéine p53 est impliquée dans l’arrêt des cellules dans la phase G1 du cycle cellulaire et dans la transition de la phase G1 à la phase S, laissant ainsi aux systèmes de réparation le temps d’éliminer les lésions avant qu’elles ne soient fixées en mutation lors de la réplication. Les cellules dérivées de patients atteints d’ataxie télangiectasie ne présentent pas cet arrêt en phase G1, caractéristique des cellules normales soumises à irradiation ionisante; elles ne montrent pas l’augmentation radio-induite de l’activité de la protéine p53 et des produits des gènes contrôlés par celle-ci (GADD 45, MDM 2 et p21). Ainsi cette maladie génétique, caractérisée par une hypersensibilité aux radiations ionisantes, une prédisposition au cancer et des anomalies de recombinaison génétique, est-elle associée à des altérations du cycle cellulaire au niveau d’étapes contrôlées par la protéine p53, qui est le “gardien du génome”.

Pathologies par défaut de réparation de l’ADN

Maladies liées à une anomalie de la réparation des mésappariements

La fidélité de la réplication de l’ADN est de l’ordre de 10—10 erreur par base nucléique répliquée. Cette fidélité extraordinairement élevée est due à deux activités enzymatiques majeures. Les ADN-polymérases, qui répliquent l’ADN selon les règles d’appariement des bases de la double hélice, possèdent une “activité de relecture” permettant de tester, au moment de l’incorporation d’une base, l’exactitude de l’appariement. Cette fonction de contrôle enzymatique permet une fidélité de l’ordre de 10—6. Les erreurs qui ont subsisté, malgré l’efficacité de la relecture, peuvent être à nouveau détectées et réparées, afin d’aboutir à la fidélité finale de 10—10, grâce au dépistage des mésappariements après le passage des ADN-polymérases. Les enzymes impliquées dans cette réparation sont très conservées au cours de l’évolution et possèdent des homologues chez la bactérie, la levure et l’homme, comme on l’a vu plus haut.

La relation entre instabilité génétique des cellules tumorales et enzymes de réparation des mésappariements est apparue clairement lorsque les chercheurs ont montré l’existence d’une instabilité majeure des séquences répétitives de type microsatellite dans de nombreuses cellules tumorales. Les microsatellites, séquences plusieurs milliers de fois répétées dans les cellules humaines, sont constituées de la répétition d’un motif di-, tri- ou tétranucléotidique. Ces séquences, difficiles à répliquer du fait de leur structure, sont des points chauds d’erreurs effectuées par les ADN-polymérases qui “glissent” sur ces séquences et ajoutent ou éliminent une partie des motifs répétés. Ces erreurs sont normalement réparées par les enzymes de réparation des mésappariements. En l’absence de réparation, on observe l’accumulation d’erreurs que l’on peut mettre en évidence en mesurant la variation de la taille des microsatellites. C’est exactement ce qui a été démontré dans le cas des cellules tumorales des cancers héréditaires non polypeux du côlon, des HNPCC (hereditary non polyposis colorectal cancer , ou syndrome de Lynch). Cette observation a permis de montrer que ces cellules tumorales étaient déficientes dans les enzymes de réparation du fait d’une mutation germinale sur les gènes de réparation (hMSH 2 ou hMLH 1). Dans les familles où peut survenir cette maladie, une mutation sur un des allèles des gènes de réparation est transmise génétiquement. Mais il faut une seconde mutation sur l’autre allèle pour que les cellules deviennent tumorales. Cette prédisposition familiale amène ainsi la formation de tumeurs en majorité coliques, ainsi qu’une augmentation de la fréquence des cancers de l’endomètre, du tractus urinaire et de l’estomac.

Maladies liées à une instabilité chromosomique spontanée ou induite

Parmi les syndromes héréditaires liés à une instabilité chromosomique “spontanée”, trois maladies ont été particulièrement bien analysées: syndrome de Bloom, anémie de Fanconi et ataxie-télangiectasie.

L’ataxie-télangiectasie (AT) est une maladie non liée au sexe, transmise de façon récessive, caractérisée par une sensibilité particulière aux radiations ionisantes. L’incidence est de l’ordre de 1 pour 40 000 naissances, et la fréquence des parents hétérozygotes de ces malades serait de l’ordre de 1 à 2 p. 100 dans la population générale. Ces malades développent des cancers (leucémies et lymphomes T, mais aussi des tumeurs solides) avant l’âge de vingt ans. On a estimé que ces anomalies génétiques liées au syndrome AT dans la population seraient responsables de 5 p. 100 de tous les cancers apparaissant avant l’âge de quarante-cinq ans. L’isolement récent (juillet 1995) du gène ATM, responsable de cette maladie, permet d’envisager un diagnostic génétique des individus à risque, et par conséquent un dépistage précoce de la cancérisation.

La sensibilité extraordinaire des patients aux radiations ionisantes et l’instabilité chromosomique ne sont pas reliées à un défaut spécifique de la réparation de leur ADN. Une des caractéristiques majeures des cellules AT irradiées est l’absence d’arrêt de la réplication de l’ADN malgré la présence de lésions sur la matrice à répliquer. Cette observation est à rapprocher de l’absence ou du retard d’induction de la protéine p53 dans certaines cellules AT après irradiation. Dans cette hypothèse, l’absence d’induction de la protéine p53, parce qu’elle empêche le blocage du cycle cellulaire en G1-S, permettrait à la cellule d’entrer en cycle malgré la présence de lésions sur l’ADN, ce qui conduirait alors à des remaniements génétiques importants.

Maladies liées à une hypersensibilité aux rayonnements ultraviolets

Plusieurs maladies graves, caractérisées par une hypersensibilité aux rayons ultraviolets solaires, sont dues à un défaut majeur dans les enzymes de réparation de l’ADN par excision de nucléotides.

Les malades atteints de xeroderma pigmentosum ont une photosensibilité extrême et sont caractérisés par une très forte incidence de cancers de la peau dus à l’exposition au soleil. Chez ces malades, une fréquence 4 000 fois supérieure à celle de la population normale est en effet observée pour les tumeurs cutanées qui apparaissent dès l’âge de quatre ou cinq ans. De 20 à 30 p. 100 des malades présentent des anomalies dégénératives neurologiques importantes. Les études récentes portant sur des lignées cellulaires isolées de ces malades hypersensibles aux rayons ultraviolets ont permis d’isoler six gènes humains de la réparation de l’ADN. L’absence de réparation de l’ADN se traduit par une fréquence de mutations très élevée dans les cellules de malades après traitement par des agents génotoxiques. La relation directe entre mutations produites par la présence de lésions non réparées et induction de cancers est attestée par l’existence, dans les tumeurs de ces malades, d’un taux élevé de mutation des oncogènes RAS et du gène P53.

Le syndrome de Cockayne (SC) et la trichothiodystrophie (TTD) sont deux autres maladies dans lesquelles une photosensibilité est associée à une anomalie de réparation de l’ADN par excision. Paradoxalement, dans le cas de ces deux maladies, ce défaut de réparation de l’ADN n’est pas associé à un taux de cancer anormal. Le SC associe photosensibilité, nanisme, anomalies de la rétine et du squelette, microcéphalie et dégénérescences neurologiques progressives. Sur le plan génétique, au moins cinq gènes sont impliqués, et le défaut biochimique se situe au niveau de la réparation des gènes activement transcrits. Cette voie de réparation, dite préférentielle, a pour rôle de lever l’inhibition de la synthèse d’ARN bloquée par les lésions touchant l’ADN. Le maintien d’une synthèse d’ARN à un niveau suffisant est vital pour la cellule qui a besoin, pour une activité cellulaire normale, de l’expression de ses gènes activement transcrits. On constate en effet que, dans toute cellule humaine normale traitée par un agent génotoxique, la réparation de l’ADN s’effectue rapidement sur le brin transcrit des gènes actifs, puis sur le brin complémentaire non transcrit, suivie quelques heures plus tard par une réparation généralisée de 95 p. 100 de l’ADN cellulaire non actif. Les cellules SC sont capables de réparer ces 95 p. 100 de l’ADN cellulaire non transcrit, mais ne peuvent pas réparer les brins qui portent des gènes actifs. Ce défaut se traduit par une incapacité de récupérer une synthèse d’ARN normale après irradiation et par une hypersensibilité cellulaire aux rayons ultraviolets. L’image inverse du syndrome de Cockayne est trouvée parmi les malades atteints de XP appartenant au groupe de complémentation C. En effet, les cellules XP C sont incapables de réparer l’ensemble de leur ADN génomique (défaut 礪 90 p. 100), mais réparent parfaitement bien l’ADN des gènes transcrits. Cela se traduit par une survie cellulaire après irradiation ultraviolette supérieure à celle des cellules des malades XP appartenant à d’autres groupes de complémentation. Un très faible nombre de malades atteints de SC présente un tableau clinique remarquable, associant les symptômes typiques du syndrome de Cockayne et ceux de xeroderma pigmentosum. Ces malades sont génétiquement dispersés dans plusieurs groupes de complémentation XP (groupes B, D et G), ce qui indique que ces deux maladies dans leur état extrême peuvent être très liées et qu’éventuellement des défauts enzymatiques de réparation pourraient être communs à ces deux syndromes rares.

La trichothiodystrophie est cliniquement caractérisée par un faible taux d’acides aminés soufrés et des anomalies des phanères, en particulier des cheveux cassants et très fins. Parmi ces malades, environ 50 p. 100 sont photosensibles et leurs cellules ont un défaut de réparation de l’ADN. Actuellement, trois gènes ont été isolés. Environ 90 p. 100 des malades photosensibles sont génétiquement identiques aux malades atteints de XP D. Bien que le même gène ERCC 2 (ou XP D) soit muté dans ces deux maladies, les manifestations cliniques sont paradoxalement tout à fait différentes, puisque les malades atteints de TTD ne développent aucune tumeur de la peau, contrairement aux malades atteints de XP.

Maladies de la transcription

Au moins quatre protéines impliquées dans la réparation par excision interviennent également dans le TFIIH, complexe protéique qui régule l’initialisation de la transcription de l’ADN en ARN messager par l’ARN-polymérase II. Ces protéines sont aussi impliquées dans certains groupes de malades atteints de XP, XP/CS ou de TTD. On peut donc imaginer que le dysfonctionnement de ces protéines, responsable des maladies de la réparation, puisse agir également au niveau de la régulation fine de la transcription des ARN messagers et produire ainsi des maladies de la transcription. Cette hypothèse tout à fait révolutionnaire n’a pas encore été totalement validée, mais des anomalies dans la régulation de la transcription de certains gènes pourraient expliquer des symptômes associés à ces maladies de la réparation difficilement explicables par ailleurs (anomalies de développement, retard intellectuel, stérilité, forme anormale des membres ou du visage).

Réparation de l’ADN et système nerveux central

L’association très étroite de dégénérescences neurologiques progressives avec de nombreuses maladies de la réparation de l’ADN implique un rôle fondamental des enzymes de réparation pour la survie des neurones. Ces anomalies neurologiques sont variables d’une classe de malades à l’autre, mais correspondent généralement à des retards mentaux progressifs, des réflexes anormaux, des microcéphalies, de l’ataxie. L’implication des enzymes de réparation au niveau des complexes de transcription pourrait se traduire par des anomalies subtiles de l’expression génique, expliquant ainsi l’aspect très diversifié de ces maladies. Chez les malades atteints de XP (en dehors du groupe XP C), l’absence de réparation de l’ensemble de l’ADN semble responsable d’une dégradation des axones qui entraîne une dégénérescence primaire des neurones, tandis que chez les malades atteints du syndrome de Cockayne l’absence de réparation des gènes activement transcrits se traduit par une destruction des cellules gliales, suivie par une démyélinisation sévère et progressive du système nerveux central et périphérique. L’absence de signes neurologiques majeurs chez les malades atteints de XP C met en évidence le rôle fondamental de la réparation préférentielle de certains gènes spécifiques dans le maintien de la survie neuronale. En réalité, la destruction des neurones n’est pas due à la présence de lésions induites par les rayons ultraviolets dans leur génome. Il faut donc supposer qu’il existe d’autres lésions produites par des processus endogènes à la cellule nerveuse (produits du métabolisme cellulaire, radicaux libres de l’oxygène) ou provoquées par des substances toxiques environnantes.

Perspectives thérapeutiques

Toutes les maladies décrites ci-dessus sont dues à des mutations sur les deux allèles d’un gène de réparation de l’ADN. La présence d’un allèle normal (chez les parents hétérozygotes, par exemple) permet l’expression d’un phénotype normal. Une thérapie génique se fonde sur l’introduction dans les cellules des malades d’une copie normale du gène impliqué. Cette introduction est effectuée le plus couramment en infectant les cellules du patient par des virus recombinants (rétrovirus ou adénovirus) qui servent de vecteurs à un gène normal de réparation. Les cellules ainsi traitées récupèrent des propriétés normales vis-à-vis des agents génotoxiques, et on peut imaginer que l’enfant chez lequel on injecterait ces cellules modifiées génétiquement recouvrerait une vie normale. Un essai thérapeutique est en cours (octobre 1995) chez des malades atteints d’anémie de Fanconi. Des rétrovirus recombinants permettant de compenser in vitro le défaut enzymatique de certaines cellules XP ou TTD ont été produits. Bien que les protocoles soient encore lourds et laborieux à mettre au point, ils représentent un espoir unique de traitement de ces maladies génétiques.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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